Cet
article se veut être une version simplifiée et efficace de l’origine de la
techno à Detroit pour un accès plus facile à l’univers de la techno aux
néophytes, et quelques propos plus pointus pour les connaisseurs. J’invite les
personnes souhaitant avoir plus d’informations à me contacter et à me poser
leurs questions. Une suite sur les autres générations de DJ de Détroit verra
certainement le jour (dans quelques mois).
1)
Les premiers morceaux
Musicalement,
la techno est très synthétique d’où son association avec les courants
futuristes, industriels et son rapport à la technologie. Elle se constitue
notamment de nappes rythmiques et de nappes mélodiques et atmosphériques. Bien
que la techno soit souvent associée aux kicks et autres percussions, la techno
ne se limite pas qu’à être une musique répétitive (et écouter attentivement le
top 50 actuel, la construction musicale et les paroles sont très répétitives).
Pour des oreilles étrangères à cette musique, il est néanmoins clair que cette
première impression est logique, notamment du fait de la très rapide pulsation
entre 110 et 120 battements par minute en moyenne. Pourtant, les premiers
morceaux techno, leurs évolutions et d’autres styles musicaux proches vont
mettre en place un environnement propice à la danse, la réflexion mais aussi à
l’analyse de différents mondes intra-musicale du fait de différent rythmes et
fréquences mis en place par les DJ et pouvant être écoutés. Un univers musical
beaucoup plus large qu’on peut le penser. Tout ceci est évidemment possible
grâce à l’utilisation d’un matériel de plus en plus avancé (platines, samplers,
séquenceurs, boîte à rythmes, etc) qui permet de manipuler et travailler des
sons ou parties de morceaux déjà connus et enregistrés, dans un travail
d’incorporation, de mélange juste. Le DJ pioche dans un répertoire pour créer
une musique propre à ses envies et ses influences du moment, du lieu, des gens.
Une vraie relation entre le temps, l’espace et les gens se jouent avec le DJ
qui bien qu’il est sa propre motivation n’a pas de partition à respecter à la
lettre. Nous sommes au-delà de l’interprétation (si vous vous référez à un
orchestre ou un groupe) – nous sommes dans l’adaptation et parfois même dans la
création.
En
1981, le groupe A Number of Names créé le titre « Sharevari »
(Capriccio, 1981) qui doit être associé comme le premier morceau qui va amener
à forger l’idée d’un genre musicale spécifique. Néanmoins il ne faut pas se
tromper, le terme techno apparaîtra des années après. Que ce soit les habitants
de Detroit ou ses DJ, ce morceau représente une alternative et une évolution à
la musique de danse « house » qui fait son apparition dans la ville
voisine Chicago. On ne placarde pas haut et fort : « ceci est de la
techno ». La fin des années 1970 et le début des années 1980 sont marqués
dans le monde de la nuit et de la musique par l’apparition de DJ qui font plus
que jouer des titres du top 40-50. La notion de création et surtout de
production d’un son et d’un univers unique commence à faire son entrée. Ainsi
on verra l’arrivée de l’electro et du hip-hop avec Afrikaa Bambaataa et
Grandmaster Flash, puis de la house avec Marshall Jefferson, Steve Hurley et de
la techno.
Le
deuxième morceau qui marque l’année 1981, comme prémisse de la naissance de la
techno est « Alleys of your Mind » de Cybotron (Deep Space, 1981). Cybotron
est un duo composé de Richard Davis et Juan Atkins. Juan Atkins est aujourd’hui
connu comme le pionnier et référent de la première génération techno.
Ce
dernier morceau est rythmiquement plus évoluer que Sharevari. Les boucles
rythmiques et les synthétiseurs forment un tout plus compréhensible. Les voix
encore très présentes dans les deux morceaux sont très robotiques et rappellent
l’influence du groupe Kraftwerk et leur voix robotique. Elles sont construites
sur un mode répétitif. Dans la techno actuelle, il est rare de trouver autant
de paroles. On se trouve bien ici en présence d’une trame musicale de fond
épurée et « techno », mais encore confrontée à une forme plus house
(forme responsorielle, paroles, gimmick « danse » etc).
2)
Les influences discutées et discutables
Cette musique techno est
associé aux musiques dites de danse, et mais aussi plus aux musiques dites
électroniques. Ce genre musical, même s’il reste un genre encore aujourd’hui de
niche, prend une forme populaire, par opposition aux formes classiques des musiques
électroniques et les expérimentations issues des courants comme le minimalisme
(Cage, Reich, Glass) ou le sérialisme (Stockhausen).
A ce titre, les influences de
ces premiers DJ et producteurs techno ne sont pas les musiques électroniques
classiques, bien qu’elles soient avant-gardistes, mais plutôt des artistes
innovateurs qui ont su concilier approche populaire et expérimentations
électroniques. Le groupe Kraftwerk qui sonne comme un OVNI au départ pour le
monde entier va rapidement le conquérir entre les années 1974 et 1977 avec des
albums comme « Trans Europe Express » et « Autobahn ». Les
« hommes-machines » comme ils aiment se montrer apportent une
imagerie très futuriste dans le domaine de la musique, sur scène et dans leur
production. Il conquiert rapidement le monde et notamment les salles de danse,
discothèques et clubs où de très nombreux DJ les mixent. Très originaux, ils font
aussi partie d’une certaine émulation de la scène allemande de l’époque, avec
notamment le son qualifié de krautrock et des groupes comme Can, Tangerine
Dream, etc.
Au début des années 1980, un
mouvement nommé synthpop ou encore new pop ou new wave débarquent en
Grande-Bretagne. Se présentant de façon assez caricaturale comme des punks
pop-glam jouant des synthétiseurs, ces artistes vont eux aussi apporter une
grande influence à la techno, car ils vont complètement rationaliser
l’utilisation des synthétiseurs et notamment les sonorités synthétiques si particulière
aux années 1980, tout ceci dans une enveloppe plus sombre : New Order, Pet
Shop Boys, Depeche Mode, Duran Duran, etc.
Comme je l’écrivais
précédemment, le funk était plus présent que le disco à Detroit notamment pour
ces liens avec les artistes locaux et à une communauté noire plus encline à
respecter l’aura du funk. Je parlerai ainsi de groupes qui ont vraiment
influencé les premiers morceaux techno.
Prince est le guitariste-chanteur
afro-américain funk, rock, pop qui embrase la planète dans les années 1980. Il
sera parfois de passages à Detroit et saura touché les DJ.
Les P-Funk et George Clinton
balancent des concerts de folie et la population de Detroit y assistera
plusieurs fois au cours des années 1970 et 1980. Was (Not Was), et le leader
Don Was sont connus pour avoir joué un rôle important dans la popularisation
des musiques de danse, et de la production de nombreux artistes à Detroit. Les
artistes citent aussi souvent MC5, qui bien qu’étant un groupe rock-punk, était
très apprécié pour leur énergie et leur liberté d’esprit et engagement
politique (anti-guerre, anti-racisme, etc)
La techno naît d’une véritable
diversité musicale, indispensable pour être un bon DJ, et encore plus pour
comprendre comment les DJ de Detroit agissent et évoluent dans leur propre
style musical, leur création et leur Djing. Encore aujourd’hui Kevin Saunderson
cite Depeche Mode comme influence primordial. Etonnant quand on sait que le son
de Depeche Mode, même dans son côté esthétique plus sombre, est pourtant
éloigné d’un son techno dans sa construction musicale (bpm bas, forme chanson
pop, etc).
La techno ne s’est pas faite
du jour au lendemain. Elle est née de différentes influences. Certaines sont
indiscutables : la musique house de Chicago, les nouveautés
technologiques, Kraftwerk, le mélange musical, le DJ Kevin Collier (DJ important
à Detroit à l’époque), le DJ radio Electryfying Mojo qui était l’un des rares à
soumettre à ses auditeurs des morceaux très diverses et des groupes que j’ai
cité précédemment. D’autres points sont plus discutables et à modérer comme
l’intégration des idées futuristes dans leur musique suite à la sortie de
l’oeuvre d’Alvin Toffler, « La Troisième Vague », la dureté d’une
musique à l’image de Detroit (même si cette idée est très plaisante, et que je
rappelle que l’atmosphère ambiante influence le DJ, aucun indice ne le prouve
de façon net).
3)
Les « Belleville Three » : qui
sont les pionniers de la techno de Detroit ?
Les Belleville Three est le
nom donné aux pionniers de la techno originelle, qui vont forger son
architecture globale et l’ancrer. Belleville est une ville qui fait partie dans
les années 1980 des banlieues de classes moyennes et riches, comparativement à
Detroit. La population y est éduquée grâce à l’influence du système de
scolarité de la ville la plus proche, Ann Arbor. Elle se situe à 20 kilomètres
à l’ouest de Detroit. La vie y est rigoureusement plus simple. Le taux de crime
est relativement bas. La population y est majoritairement blanche et avait la
réputation d’être dans les années 1930, un abri pour riches propriétaires comme
Henry Ford, par exemple et lieu de villégiature (maison d’été de Charles
Lindbergh).
Cette ville abrita Juan
Atkins, Kevin Saunderson et Derrick May, grands DJ techno, qui fréquentèrent le même lycée et sont proches, que je vous présente brièvement :
> Juan Atkins créé Cybotron avec
Richard Davis au début des années 1980. Atkins est très influencé par les DJ,
et notamment le DJ radio Electryfiying Mojo et ses playlists ouvertes à
d’autres sonorités. Atkins part à la recherche de nouveaux instruments (Korg
MS-10, 1979) et machines à modifier pour jouer. Le Djing étant lié à une totale
autodidaxie (et encore plus à cette époque), il apprend par lui-même et en
observant ses pairs. Il est le premier à réaliser des compositions avec des
nouveaux codes plus mécaniques et rythmiques, novateur donc et moins dansant
que la house pour l’époque. Il créé son label Metroplex en 1985, en quittant
l’aventure Cybotron. Il créera ensuite différent avatars comme Model 500.
> Derrick May est souvent vu
comme l’intellectuel de la techno. Il lui a offert sa philosophie et ses
explications futuristiques mais aussi la
relation entre la noirceur et les difficultés que rencontrent les habitants de
Detroit, et la mécanicité et le côté plus sombre que va prendre la techno petit
à petit, devenant de plus en plus un squelette musicale laissant place à un rythme et une atmosphère
déconstruisant les musiques populaires et classiques. Derrick May a aussi la
carrière la plus fructueuse parmi les DJ techno de Detroit. Il est très discret
et sensible. Il apprend pratiquement tout grâce à Juan Atkins, mais aussi
Anthony Shakir qui l’aide beaucoup à ses débuts. Il créé son label Transmat
Records en 1986. C’est en 1987, qu’il se fait connaître le plus sous les
pseudonymes Rythim is Rythim et Mayday à travers des titres : Strings of
Life, Nude Photo,…. Puis au milieu des années 1990 il met progressivement fin à
sa carrière de producteur. Il n’en reste pas moins une clé maîtresse du son
techno de Detroit.
> Kevin Saunderson est, pour
moi, plus démonstratif et une personnalité plus festive. Il créé son label KMS
Records en 1986. Le titre Big Fun propulse sa carrière en 1987, sur la
compilation qui restera dans l’histoire techno : Techno ! the New Dance Sound of Detroit. Kevin
Saunderson reste très proche d’un son house, voir clubbing notamment en tant
que DJ. Il produit néanmoins des titres techno plus «minimales » ou
« underground », avec notamment Heavenly en 1997 (pseudo :
E-Dancer).
Le simple fait d’attribuer ce
titre de pionniers aux Belleville Three est critiquable mais aussi largement
justifiable. Néanmoins ils ne sont pas les représentants d’un son techno de
Detroit, mais des sons de la techno. Ces personnes adorent Detroit, ils y sont
liés, même s’ils vivaient à Belleville dans des conditions de vie plus
reposantes. La techno est à Detroit ce que le rock est au monde entier :
diverse. Saunderson est plus « housy », May est plus « classique »,
Atkins évolue dans un courant qu’on
appelle électro (electro-funk). La techno n’est pas uniforme, et c’est un des
points forts de celle-ci. On ne peut tenter de définir le techno en tant que
genre, parce que sa nature même est vivace, spontanée, influencée. La techno de
par sa forme brute, jouable à l’instinct, construite sans modèle fixe, elle est
expérimentale. Carl Craig et Jeff Mills,par exemple, emmèneront par la suite
cette techno vers d’autres directions.
4)
Detroit, les USA, l’Europe
Entre
1981 et 1988, la techno se développe à Detroit. Peu de DJ ou même le public aux
USA ne sont et seront touchés par ce nouveau style musical. Il reste alors un
style musical de niche et un style musical lié à Detroit, d’où ce nom de « techno
de Detroit ». Par la suite on parlera de « techno allemande » ou
encore « techno anglaise », la localisation géographique importe
alors pour désigner un style techno particulier.
A
partir du milieu des années 1980 et notamment lors de l’année 1988, lors du
Summer of Love ou « été de l’ecstasy » en Grande-Bretagne, la techno
est affiliée à ce nouveau mouvement. Le mouvement des raves, où l’événement
prime sur la musique et où l’utilisation de drogues et autres substances
conditionne ce même événement, est une pratique culturelle différente de la
techno que peuvent connaître les habitants de Detroit. Les Britanniques font
évoluer leur musique dans leur propre contexte post-industriel, musical
(acid-house), etc.
Certains
DJ, à l’instar de Derrick May seront désagréablement surpris de voir
l’influence et la portée de la musique techno en Europe – une techno moins
authentique où le comportement déluré et sans contrôle étonne. Aujourd’hui lorsque
l’on parle de techno, on y voit plutôt une référence à la techno allemande et
beaucoup d’amateurs de techno ne connaissent que peu les racines de la techno à
Detroit.