La
dernière fois, nous avons parlé de la scène Rock de Detroit (classic rock, punk
et hard rock). Aujourd’hui, je vous propose de vous emmener découvrir les 70’s
et 80’s, et l’univers des boules à facettes, des cols pelle à tarte et des
pantalons patte d’eph. Messieurs déboutonnez votre chemise et Mesdames
recoiffez-vous, c’est parti pour un moment funk (et disco).
Detroit
n’est pas une ville qui se vente de sa scène funk aujourd’hui. D’ailleurs vous
avez certainement dû remarquer que les événements live (ou non) de funk et de disco, en France et ailleurs, se font très
rares, mais pourtant quel DJ de nightclub ne passe jamais un tube de ces styles
pendant une soirée ? Et qui n’apprécie pas de se déhancher sur le
« groove » de ces musiques ? Oui, je te parle ! Toi qui aime
gesticuler sur la piste de danse en réinterprétant les démarches et les pas les
plus sensuels et sexuels d’un John Travolta sur une chanson des Bee Gees ou
d’un James Brown dégoulinant de sueur. Toi qui connais par cœur la chorégraphie
d’Alexandrie Alexandra (non ne te cache pas), et qui tente encore le coup du
lasso en boîte, je te présente quelques pépites.
James Brown (1933-2006)
Deux
émissions de TV à Detroit : Soul Train et The Scene
Si
je vous parle de l’audiovisuel à Detroit, c’est tout d’abord parce que
l’évolution de ces musiques et l’intérêt que le public a eu pour ces dernières est dû à leur diffusion TV. Ces divertissements télévisuels faisaient aussi bien
participer les foules filmées en live que d’aiguiser la sensibilité des spectateurs
derrière leur écran. On assiste à un regain d’intérêt pour les danses, et on
parle alors pour désigner les musiques qui les accompagnent de « dance
music ». Ce phénomène sera aussi lié à la modernisation des lieux de danse
ou la création des clubs/discothèques. Cette contextualisation permet aussi de
comprendre pourquoi les générations nés avant les années 80 ont été marquées
par le funk et le disco, ce à travers ces émissions de musiques et de danses et
expliquer pourquoi les artistes actuels qu’il soit de la scène hip-hop, techno ou même pop, revendiquent ces influences.
Et deuxièmement,
ce sont des choses qu’en France nous n’avons pas connu, donc profitons-en pour
observer.
Plateau de Soul Train (années 1970)
En
octobre 1971, Detroit diffuse un show qui est produit et monté à Chicago, appelé
« Soul Train ». Animé par Don Cornelius, un homme charismatique qui
deviendra le premier Afro-Américain à se hisser à la tête de la production
audiovisuelle, l’émission se découpe en différentes parties. Elle propose de
découvrir différents artistes en live, différentes chansons, des interviews en
live, des chorégraphies et un rituel de fin : une ligne de danse qui
clôture le show et où danseurs, musiciens et artistes peuvent se défouler.
Au
départ, on y découvre les artistes soul, concept de l’émission, et notamment
les stars de la Motown, stars locales puisque jusqu’en 1972, Detroit (5h de
Chicago) accueillait toujours les locaux de la Motown. On y voit Smokey
Robinson, Stevie Wonder, Marvin Gaye, The Temptations, Jackson Five et plus le
show grandit plus les artistes viennent de partout : Al Green, Aretha
Franklin, Barry White, etc.
« Suite
à la British Invasion avec entre autres les Beatles, les Rolling Stones et
Cream et le fait que les fans, les alliances, et les goûts musicaux alors
évoluèrent vers quelque chose de plus sophistiqué et d’éclectique, les années
1971-1973, furent une période cruciale pour la musique noire. Celui qui
montrait la voie allait mourir. Jimi Hendrix devait quitter ce monde dans le
but d’offrir aux Isley Brothers, Parliament Funkadelic, Sly annd The Family
Stone et Rick James une façon de découvrir leur schéma créatif pour transporter
la musique noire vers ce qu’elle voulait devenir, en transformant la soul en
funk », nous dit Ahmir « Questlove » Thompson (Dj et producteur)
– (P-50 – Soul Train).
Soul Train - Stevie Wonder (joue pour la première fois "Superstition") - 1971
Soul
Train avance avec les évolutions musicales et fait ses propres choix, dans
une filiation tout de même logique: disco, hip-hop, new wave et R’n’B : Donna
Summer (1976 et 1978) Village People (1980), Kurtis Blow (1980), Sugarhill Gang
(1981), LL Cool J (1985), Beastie Boys (1987), Pet Shop Boys (1988) sont invités. En 1993,
Soul Train s’achève.
The
Scene s’inspirera énormément de Soul Train. Débutant en 1975 et tirant sa
révérence en 1987, ce show était une quotidienne où la danse était au centre de
l’émission puisque très rares étaient les artistes qui jouaient en live. La
direction artistique et musicale pris un autre sens que Soul Train. Soul Train
avait une vision nationale, mais The Scene avait une vision locale. Ainsi, la
musique était un reflet de Detroit, une musique plus house, plus électronique
mais aussi techno. Lors de mes rencontres avec les artistes, fans et amateurs
de house et techno, beaucoup me disaient avoir entendu pour la première fois
Kraftwerk ou Cybotron. L’émission animée par Nat Morris sera remplacée par the
New Dance Show en 1988 – un programme plus moderne mais quasiment identique
dans le fond.
The Scene - "Shari vari" d'A Number of Names (prémisse à la Techno de Detroit) - 1981
Outre
l’aspect musical, Soul Train aura un fort impact sur la médiatisation des
Afro-Américains, et sera le prisme de leur évolution et motivation dans la
société des USA. A Detroit, l’effet sera d’autant plus fort et local avec The
Scene que la population Afro-Américaine augmente dû à la fuite de la communauté
Blanche.
1970-1980 - Detroit : plus funk que disco ?
Bien
que le disco ait eu une popularité importante aux USA, le funk reste une
musique plus présente dans le cadre musical de Detroit. Pourquoi ?
Le
disco est très européen, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Tout d’abord,
Peter Shapiro, fait remonter les prémisses du disco à la Seconde Guerre
Mondiale, et les affrontements intellectuels et artistiques entre français et
nazis. Il expose que pendant la Résistance, Paris grouillait en effet de boîtes
clandestines, et qu’après la libération, ce phénomène va s’accentuer avec
notamment des lieux mythiques comme le Whisky à Go-Go, puis l’ouverture des
premières discothèques de Régine.
Le
disco plante aussi ces racines dans la ville de New-York, où au début des
années 1970, la Big Apple a une image assez dégradée, entre violence,
prostitution, crime, policiers corrompus et trafic de drogues. Avant les
paillettes et le hype des discothèques vivaient le trash dans ces lieux.
Le
disco est aussi une musique de danse commerciale. Même si elle fait la synthèse
d’un courant soul et funk, la technologie et les instruments électroniques
permettent de créer, sans frais, un morceau complet sur une base rythmique,
charleston (contretemps) et grosse caisse (temps forts 4/4) accentués, et des morceaux qui le
plus souvent sont remixés de nombreuses fois.
Par
la suite, le disco se révèle progressivement: en France, Manu Dibango « Soul
Mokassa » (1973), en Allemagne, Boney M (même si l’on pensait tous que l’origine
du groupe était américaine) « Daddy Cool » (1976), en Suède avec Abba
(qui feront un gros carton en Australie où ils sont encore considérés comme des
superstars aujourd’hui), « Waterloo » (1974), etc.
A
Détroit, et plus largement dans la communauté afro-américaine, le sentiment
envers le disco est partagé. Cette communauté devient et est exigeante en termes
de musique. Le funk appartient à la communauté Afro-Américaine jusqu’à l’arrivée
du disco qui le fait découvrir à la communauté blanche. La soul et le funk ont
une âme musicale, ce qui est alors plus difficile de justifier pour le disco au
vue des faits précédents, selon les commentateurs. Cette âme musicale reste purement subjective,
et met en avant le lien religieux avec la musique. La soul et le funk sont liés
aux racines du chant religieux et surtout le gospel. La soul et le funk font références
aux textes religieux, « tandis que
le disco a pour religion l’hédonisme » (P.87-Soul Train).
Je
prends ici pour exemple Questlove nous parlant de la période disco de Soul
Train, où l’on retrouve une critique envers le disco: « La musique Noire a
toujours été défini et contextualisée par rapport au gospel, et le disco marqua
la première fois dans l’ère de la musique noire où celle-ci ne portait moins
sur le gospel. »(P.87 – Soul Train)
Enfin,
même si la vague disco a continué à se développer dans les années 1980 en
Europe et ailleurs, il faut savoir que le disco connut un véritable coup d’arrêt
aux USA suite à un événement grave : le « Disco Demolition Night ».
Affiche "Disco Sucks" - Comickey Park 1979
Avant
cette journée de 1979, des petites manifestations anti-disco éclatent dans le
pays. Certains jugent la musique trop mécanique, jugent les habits des danseurs
trop provocateurs, mais les plus virulents s’attaquent au disco notamment du fait
de ses racines à la culture homo, et de la visibilité que lui "accorde" le disco. Les fans de rock
aussi, qui voient leur station et la popularité de leur musique diminuer, s’offusquent
de cette musique. Alors le 12 juillet 1979, à Chicago, au Comikey Park (stade
de baseball), environ 60 000 personnes se ruent pour pouvoir voir le match
et casser des vinyles de disco (mauvaise saison pour l’équipe de
Chicago – habituellement max 30.000 spectateurs). A la fin du match, les
instigateurs de cet événement, Steve Dahl (DJ Radio rock), Gary Meyer (DJ Radio
rock) et d’autres entament un tour de terrain avec des caisses de disques et des
explosifs. Ils reprennent le slogan « Disco Sucks », et font exploser
les disques, laissant un trou au centre du terrain. Les médias américains, qui
ne sont pas des défenseurs du disco, titrent alors la mort de celui-ci (symboliquement et littéralement).
« Micro résumé » de l' histoire du funk
+ Deux groupes incontournables et proches de la scène de Detroit
Le
funk s’est développé dans différentes villes aux USA. Les berceaux principaux
restent l’Ohio (Ohio Players) et la Nouvelle-Orléans (The Meters), où les
débuts du funk firent leur apparition. D’ailleurs James Brown, le « godfather
de la soul », plutôt funk, s’installa rapidement à Cincinnati (Ohio). Dans
les années 1960, le funk se bâtit sur le rythm’n’blues et la soul, ainsi que
des textes engagés sur la difficulté quotidienne d’être un Noir aux USA. Les
paroles évolueront ensuite pour être plus festives et sexuelles (James Brown, "Sex Machine" –
1970). Chic, Earth Wind and Fire, Kool and The Gang…, ces groupes vont
populariser une musique plus électronique et énergique, un mélange entre le funk, le disco et la pop.
Parliament-Funkadelic :
Aussi appelé P-Funk, est le rassemblement de deux noms de groupes qui sont des
piliers dans le funk et l’electroclash. P-Funk est conduit notamment par George
Clinton, personne d’une vitalité à couper le souffle, et qui mis en place le
groupe dans son salon de coiffure en Caroline du Nord. Créée en 1955, il signe
avec le label Westbound Records en 1968, à Detroit. Leur musique évolua du
doo-wop au funk en passant par le rock psychédélique. Les membres de The
Parliaments sont au départ : George Clinton, Ray Davis, Calvin Simons,
Fuzzy Haskins, Grazzy Thomas. En 1969, le groupe perd ses droits et se renomme
Funkadelic et voit l’arrivée de nouveaux membres et notamment : Williams (« Bootsy »)
et Phelps Collins. P-Funk c’est l’un des superband du funk, qui va imposer une
esthétique colorée et hyperactive, sous des ambiances parfois "hallucinogènes" et "planantes". Dans les années 1980, les P-Funk connurent
un « revival » avec la sortie de remix club – « P-Funk All Stars »
A écouter : Funkadelic (album de 1970), Maggot Brains (album de 1971), Hardcore Jollies (album de 1973)
George Clinton
Was (Not Was) :
Groupe
originaire de la banlieue de Detroit, ils évoluent dès 1979 dans un mélange
post-funk et disco, ils produisent un
son très éclectique entre pop et « electro ». L’aventure de Was (not
Was) commence avec deux amis de lycée, Don Fagenson et David Weiss qui décident
de se renommer Don et David Was. Don Was, qui deviendra un grand producteur des
années 1980-1990, intègre aux chants « Sweet Pea » Atkinson et Harry
Bowens. Ils seront souvent accompagnés d’invités dans leur morceau. Was (No
Was) est à l’image de toutes les frictions artistiques et musicales de Detroit
dans les années 1980 : un groupe blanc/noir, une musique aux influences
très diverses (sans limite) mais avec notamment des teintes funk, disco et jazz, ainsi qu’une bonne pincée d’instruments
électroniques.
A
écouter : « Walk the Dinosaur » et « Spy in the House of Love » (What's Up dog - 1988)
Régalez-vous de la chorégraphie de "Walk the Dinosaur", et je défis quiconque de ne pas retenir "Open the door, get on the floor, everybody walk the dinosaur !"
Pour
plus d’informations :
- QUESTLOVE, "Soul Train - the Music, Dance and Style of a Generation", Harper Design, 2013
- Shapiro P., "Turn the beat around : the secret history of disco", Faber and Faber, 2005
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