Movement 2014

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vendredi 20 juin 2014

Music in Detroit #2 : Les années "plus ou moins" Funk (et Disco)

La dernière fois, nous avons parlé de la scène Rock de Detroit (classic rock, punk et hard rock). Aujourd’hui, je vous propose de vous emmener découvrir les 70’s et 80’s, et l’univers des boules à facettes, des cols pelle à tarte et des pantalons patte d’eph. Messieurs déboutonnez votre chemise et Mesdames recoiffez-vous, c’est parti pour un moment funk (et disco).

Detroit n’est pas une ville qui se vente de sa scène funk aujourd’hui. D’ailleurs vous avez certainement dû remarquer que les événements live (ou non) de funk et de disco, en France et ailleurs, se font très rares, mais pourtant quel DJ de nightclub ne passe jamais un tube de ces styles pendant une soirée ? Et qui n’apprécie pas de se déhancher sur le « groove » de ces musiques ? Oui, je te parle ! Toi qui aime gesticuler sur la piste de danse en réinterprétant les démarches et les pas les plus sensuels et sexuels d’un John Travolta sur une chanson des Bee Gees ou d’un James Brown dégoulinant de sueur. Toi qui connais par cœur la chorégraphie d’Alexandrie Alexandra (non ne te cache pas), et qui tente encore le coup du lasso en boîte, je te présente quelques pépites.


James Brown (1933-2006)



Deux émissions de TV à Detroit : Soul Train et The Scene


Si je vous parle de l’audiovisuel à Detroit, c’est tout d’abord parce que l’évolution de ces musiques et l’intérêt que le public a eu pour ces dernières est dû à leur diffusion TV. Ces divertissements télévisuels faisaient aussi bien participer les foules filmées en live que d’aiguiser la sensibilité des spectateurs derrière leur écran. On assiste à un regain d’intérêt pour les danses, et on parle alors pour désigner les musiques qui les accompagnent de « dance music ». Ce phénomène sera aussi lié à la modernisation des lieux de danse ou la création des clubs/discothèques. Cette contextualisation permet aussi de comprendre pourquoi les générations nés avant les années 80 ont été marquées par le funk et le disco, ce à travers ces émissions de musiques et de danses et expliquer pourquoi les artistes actuels qu’il soit de la scène hip-hop, techno ou même pop, revendiquent ces influences.

Et deuxièmement, ce sont des choses qu’en France nous n’avons pas connu, donc profitons-en pour observer.


Plateau de Soul Train (années 1970)


En octobre 1971, Detroit diffuse un show qui est produit et monté à Chicago, appelé « Soul Train ». Animé par Don Cornelius, un homme charismatique qui deviendra le premier Afro-Américain à se hisser à la tête de la production audiovisuelle, l’émission se découpe en différentes parties. Elle propose de découvrir différents artistes en live, différentes chansons, des interviews en live, des chorégraphies et un rituel de fin : une ligne de danse qui clôture le show et où danseurs, musiciens et artistes peuvent se défouler.

Au départ, on y découvre les artistes soul, concept de l’émission, et notamment les stars de la Motown, stars locales puisque jusqu’en 1972, Detroit (5h de Chicago) accueillait toujours les locaux de la Motown. On y voit Smokey Robinson, Stevie Wonder, Marvin Gaye, The Temptations, Jackson Five et plus le show grandit plus les artistes viennent de partout : Al Green, Aretha Franklin, Barry White, etc.
« Suite à la British Invasion avec entre autres les Beatles, les Rolling Stones et Cream et le fait que les fans, les alliances, et les goûts musicaux alors évoluèrent vers quelque chose de plus sophistiqué et d’éclectique, les années 1971-1973, furent une période cruciale pour la musique noire. Celui qui montrait la voie allait mourir. Jimi Hendrix devait quitter ce monde dans le but d’offrir aux Isley Brothers, Parliament Funkadelic, Sly annd The Family Stone et Rick James une façon de découvrir leur schéma créatif pour transporter la musique noire vers ce qu’elle voulait devenir, en transformant la soul en funk », nous dit Ahmir « Questlove » Thompson (Dj et producteur) – (P-50 – Soul Train).



Soul Train - Stevie Wonder (joue pour la première fois "Superstition") - 1971 


Soul Train avance avec les évolutions musicales et fait ses propres choix, dans une filiation tout de même logique: disco, hip-hop, new wave et R’n’B : Donna Summer (1976 et 1978) Village People (1980), Kurtis Blow (1980), Sugarhill Gang (1981), LL Cool J (1985), Beastie Boys (1987), Pet Shop Boys (1988) sont invités. En 1993, Soul Train s’achève.

The Scene s’inspirera énormément de Soul Train. Débutant en 1975 et tirant sa révérence en 1987, ce show était une quotidienne où la danse était au centre de l’émission puisque très rares étaient les artistes qui jouaient en live. La direction artistique et musicale pris un autre sens que Soul Train. Soul Train avait une vision nationale, mais The Scene avait une vision locale. Ainsi, la musique était un reflet de Detroit, une musique plus house, plus électronique mais aussi techno. Lors de mes rencontres avec les artistes, fans et amateurs de house et techno, beaucoup me disaient avoir entendu pour la première fois Kraftwerk ou Cybotron. L’émission animée par Nat Morris sera remplacée par the New Dance Show en 1988 – un programme plus moderne mais quasiment identique dans le fond.



The Scene - "Shari vari" d'A Number of Names (prémisse à la Techno de Detroit) - 1981

Outre l’aspect musical, Soul Train aura un fort impact sur la médiatisation des Afro-Américains, et sera le prisme de leur évolution et motivation dans la société des USA. A Detroit, l’effet sera d’autant plus fort et local avec The Scene que la population Afro-Américaine augmente dû à la fuite de la communauté Blanche.



1970-1980 - Detroit : plus funk que disco ?



Bien que le disco ait eu une popularité importante aux USA, le funk reste une musique plus présente dans le cadre musical de Detroit. Pourquoi ?

Le disco est très européen, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Tout d’abord, Peter Shapiro, fait remonter les prémisses du disco à la Seconde Guerre Mondiale, et les affrontements intellectuels et artistiques entre français et nazis. Il expose que pendant la Résistance, Paris grouillait en effet de boîtes clandestines, et qu’après la libération, ce phénomène va s’accentuer avec notamment des lieux mythiques comme le Whisky à Go-Go, puis l’ouverture des premières discothèques de Régine.
Le disco plante aussi ces racines dans la ville de New-York, où au début des années 1970, la Big Apple a une image assez dégradée, entre violence, prostitution, crime, policiers corrompus et trafic de drogues. Avant les paillettes et le hype des discothèques vivaient le trash dans ces lieux.
Le disco est aussi une musique de danse commerciale. Même si elle fait la synthèse d’un courant soul et funk, la technologie et les instruments électroniques permettent de créer, sans frais, un morceau complet sur une base rythmique, charleston (contretemps) et grosse caisse (temps forts 4/4) accentués, et des morceaux qui le plus souvent sont remixés de nombreuses fois.

Par la suite, le disco se révèle progressivement: en France, Manu Dibango « Soul Mokassa » (1973), en Allemagne, Boney M (même si l’on pensait tous que l’origine du groupe était américaine) « Daddy Cool » (1976), en Suède avec Abba (qui feront un gros carton en Australie où ils sont encore considérés comme des superstars aujourd’hui), « Waterloo » (1974), etc.

A Détroit, et plus largement dans la communauté afro-américaine, le sentiment envers le disco est partagé. Cette communauté devient et est exigeante en termes de musique. Le funk appartient à la communauté Afro-Américaine jusqu’à l’arrivée du disco qui le fait découvrir à la communauté blanche. La soul et le funk ont une âme musicale, ce qui est alors plus difficile de justifier pour le disco au vue des faits précédents, selon les commentateurs. Cette âme musicale reste purement subjective, et met en avant le lien religieux avec la musique. La soul et le funk sont liés aux racines du chant religieux et surtout le gospel. La soul et le funk font références aux textes religieux, « tandis que le disco a pour religion l’hédonisme » (P.87-Soul Train).
Je prends ici pour exemple Questlove nous parlant de la période disco de Soul Train, où l’on retrouve une critique envers le disco: « La musique Noire a toujours été défini et contextualisée par rapport au gospel, et le disco marqua la première fois dans l’ère de la musique noire où celle-ci ne portait moins sur le gospel. »(P.87 – Soul Train)

Enfin, même si la vague disco a continué à se développer dans les années 1980 en Europe et ailleurs, il faut savoir que le disco connut un véritable coup d’arrêt aux USA suite à un événement grave : le « Disco Demolition Night ».


Affiche "Disco Sucks" - Comickey Park 1979

Avant cette journée de 1979, des petites manifestations anti-disco éclatent dans le pays. Certains jugent la musique trop mécanique, jugent les habits des danseurs trop provocateurs, mais les plus virulents s’attaquent au disco notamment du fait de ses racines à la culture homo, et de la visibilité que lui "accorde" le disco. Les fans de rock aussi, qui voient leur station et la popularité de leur musique diminuer, s’offusquent de cette musique. Alors le 12 juillet 1979, à Chicago, au Comikey Park (stade de baseball), environ 60 000 personnes se ruent pour pouvoir voir le match et casser des vinyles de disco (mauvaise saison pour l’équipe de Chicago – habituellement max 30.000 spectateurs). A la fin du match, les instigateurs de cet événement, Steve Dahl (DJ Radio rock), Gary Meyer (DJ Radio rock) et d’autres entament un tour de terrain avec des caisses de disques et des explosifs. Ils reprennent le slogan « Disco Sucks », et font exploser les disques, laissant un trou au centre du terrain. Les médias américains, qui ne sont pas des défenseurs du disco, titrent alors la mort de celui-ci (symboliquement et littéralement).


« Micro résumé » de l' histoire du funk 

+ Deux groupes incontournables et proches de la scène de Detroit


Le funk s’est développé dans différentes villes aux USA. Les berceaux principaux restent l’Ohio (Ohio Players) et la Nouvelle-Orléans (The Meters), où les débuts du funk firent leur apparition. D’ailleurs James Brown, le « godfather de la soul », plutôt funk, s’installa rapidement à Cincinnati (Ohio). Dans les années 1960, le funk se bâtit sur le rythm’n’blues et la soul, ainsi que des textes engagés sur la difficulté quotidienne d’être un Noir aux USA. Les paroles évolueront ensuite pour être plus festives et sexuelles (James Brown, "Sex Machine" – 1970). Chic, Earth Wind and Fire, Kool and The Gang…, ces groupes vont populariser une musique plus électronique et énergique, un mélange entre le funk, le disco et la pop. 

Parliament-Funkadelic :

Aussi appelé P-Funk, est le rassemblement de deux noms de groupes qui sont des piliers dans le funk et l’electroclash. P-Funk est conduit notamment par George Clinton, personne d’une vitalité à couper le souffle, et qui mis en place le groupe dans son salon de coiffure en Caroline du Nord. Créée en 1955, il signe avec le label Westbound Records en 1968, à Detroit. Leur musique évolua du doo-wop au funk en passant par le rock psychédélique. Les membres de The Parliaments sont au départ : George Clinton, Ray Davis, Calvin Simons, Fuzzy Haskins, Grazzy Thomas. En 1969, le groupe perd ses droits et se renomme Funkadelic et voit l’arrivée de nouveaux membres et notamment : Williams (« Bootsy ») et Phelps Collins. P-Funk c’est l’un des superband du funk, qui va imposer une esthétique colorée et hyperactive, sous des ambiances parfois "hallucinogènes" et "planantes". Dans les années 1980, les P-Funk connurent un « revival » avec la sortie de remix club – « P-Funk All Stars »

A écouter : Funkadelic (album de 1970), Maggot Brains (album de 1971), Hardcore Jollies (album de 1973)


George Clinton 


Was (Not Was) :

Groupe originaire de la banlieue de Detroit, ils évoluent dès 1979 dans un mélange post-funk et disco,  ils produisent un son très éclectique entre pop et « electro ». L’aventure de Was (not Was) commence avec deux amis de lycée, Don Fagenson et David Weiss qui décident de se renommer Don et David Was. Don Was, qui deviendra un grand producteur des années 1980-1990, intègre aux chants « Sweet Pea » Atkinson et Harry Bowens. Ils seront souvent accompagnés d’invités dans leur morceau. Was (No Was) est à l’image de toutes les frictions artistiques et musicales de Detroit dans les années 1980 : un groupe blanc/noir, une musique aux influences très diverses (sans limite) mais avec notamment des teintes funk, disco et jazz, ainsi qu’une bonne pincée d’instruments électroniques.

A écouter : « Walk the Dinosaur » et « Spy in the House of Love » (What's Up dog - 1988)




Régalez-vous de la chorégraphie de "Walk the Dinosaur", et je défis quiconque de ne pas retenir "Open the door, get on the floor, everybody walk the dinosaur !"


Pour plus d’informations :


- QUESTLOVE, "Soul Train - the Music, Dance and Style of a Generation", Harper Design, 2013
- Shapiro P., "Turn the beat around : the secret history of disco", Faber and Faber, 2005


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